CNRS Le Journal revient sur la mission de terrain en Tanzanie

Le Journal du CNRS vient de publier un très bel article - enrichi de plusieurs images et d'extraits audio et vidéo - sur la mission de terrain réalisée conjointement par Alain Ghio (LPL) et Didier Demolin (LPP Paris) en février 2020 dans la région nord-est de la Tanzanie. L'objectif de cette mission était d’enregistrer et d’étudier deux langues de cette région : la langue des Iraqw (village Kwermusl) et la langue des Hadzabe (Mwangeza).

Article du Journal du CNRS du 21 avril : https://lejournal.cnrs.fr/articles/dans-le-secret-des-langues-a-clics
Premier article paru sur www.lpl-aix.fr du 3 mars : http://www.lpl-aix.fr/actualite/mission-de-terrain-en-tanzanie-enregistrement-des-langues-iraqw-et-hadza/

 

Mission de terrain en Tanzanie : enregistrement des langues Iraqw et Hadza

Alain Ghio, ingénieur de recherche au LPL, et  Didier Demolin, professeur au Laboratoire de Phonétique et Phonologie (LPP) à Paris, ont réalisé du 13 au 26 février une mission conjointe dans la région nord-est de la Tanzanie. Le but de cette mission est d’enregistrer et d’étudier deux langues de cette région : la langue des Iraqw (village Kwermusl) et la langue des Hadzabe (Mwangeza). La première langue se distingue par des consonnes éjectives pour lesquelles le larynx fait des mouvements étonnants. La deuxième est une langue pratiquée par une tribu de chasseurs cueilleurs, qui possède 65 consonnes dont une douzaine de clics.

Mais que sont-ils allés faire plus précisément ?

De la linguistique expérimentale de terrain. L'association de ces différents mots est généralement difficile à concilier. Et pourtant, c'est ce qu’ils ont fait. Ils sont allés rencontrer des locuteurs Iraqw et Hadza sur place, dans le bush, en Tanzanie, et il les ont enregistrés avec des techniques perfectionnées de laboratoire : aérophonométrie, électroglottographie, labio films, palatographie... ce qui relève de l'exploit scientifique quasi inédit. Utiliser ces techniques en laboratoire à Amsterdam, Marseille ou Los Angeles, c'est courant. Faire des enquêtes de terrain avec un enregistreur portable de poche. Ça se fait. Mais faire de l'aérophonométrie au milieu de la savane, ça relève du défi. Didier Démolin en est le spécialiste. Alain Ghio est co-inventeur du dispositif d’aérophonométrie  EVA2 et maitrise les contraintes techniques de ce type d’expérimentation.

Pourquoi là-bas, dans la vallée du Rift Tanzanien ?

Car cette partie de l'Afrique est connue pour sa richesse linguistique avec notamment la présence et le contact des quatre grandes familles de langues africaines.

Parmi ces langues, le cas du Hadza est particulièrement intéressant. Cette langue est parlée par environ un millier de personnes dans le rift tanzanien autour du lac Eyasi. Le Hadza est le plus souvent rattaché au groupe de langues khoïsan, notamment pour la présence, dans le système linguistique, de consonnes à clic, c’est-à-dire des consonnes produites grâce à l'air emprisonné entre deux points d'occlusion (par exemple les dents et le palais) de la cavité orale, mis en dépression par un mouvement rapide de la langue, puis libéré aux points d'occlusion, donnant ainsi naissance à un phénomène d'implosion ressemblant à un claquement. Au niveau phonétique, le Hadza possède un système de 7 voyelles et environ 65 consonnes dont une douzaine de clics. Cette langue a été étudiée par des linguistes de terrain mais aucune étude phonétique précise détaillée et documentée par des données physiologiques n'a été effectuée. Les chercheurs du LPL et LPP sont donc partis avec cette mission qui s'inscrit de plus dans une démarche plus large de sauvegarde d'une langue en danger (Endangered Languages Documentation Programme).

Auparavant, ils ont installé un laboratoire de terrain à Kwermusl, près de Mbulu, pour étudier l'Iraqw, une langue couchitique qui possède un certain nombre de consonnes éjectives produites avec un mouvement de la glotte plus ou moins simultané à la production de la consonne et le plus souvent un mouvement ascendant du larynx. Il existe aussi des consonnes pharyngales et glottales à la fois occlusives mais aussi fricatives. Bref, là aussi, l’objectif était d'enregistrer et analyser cette langue pour apporter une description phonétique précise détaillée et documentée par des données physiologiques.

Au-delà des questions scientifiques, le défi technique et méthodologique était considérable car l'environnement de travail était très difficile pour faire fonctionner des appareils électriques prévus pour le laboratoire. A Kwermusl, l’équipe ne disposait que d’un panneau solaire et d’une batterie pour mener à bien ses expériences. Les obstacles ont dû être réglés sur place avec les moyens du bord. Un exemple prototypique de ces contraintes imprévues est la gêne procurée par un coq qui ne cessait de chanter pendant les enregistrements. Il a fini le soir à la casserole. Une autre difficulté classique en linguistique de terrain est la mise en place d’une méthode permettant de faire éliciter les énoncés contenant des phonèmes cibles à des locuteurs ne sachant ni lire, ni écrire et avec qui nous n’avions aucune langue commune.

Voir aussi l'article publié par le Laboratoire de Phonétique et Phonologie (LPP), partenaire de ce projet :

Mission de collecte de données phonétiques en Tanzanie