Résumé :
Parmi les particularités prosodiques du français, l'accentuation occupe une place particulière. À un stade très précoce du développement du gallo-roman, à partir du VIe siècle, on assiste à ce qu'on appelle l'oxytonisation, c'est-à-dire la stabilisation de l'accent tonique sur la dernière syllabe de l'unité accentuelle. L'oxytonisation a entraîné une réduction des syllabes post-accentuelles (non accentuées), qui, en latin, marquaient systématiquement les variations formelles ou la flexion et qui, en tant que telles, ont été conservées dans d'autres langues romanes. La principale conséquence prosodique de ce processus est la formation d'une unité accentuelle qui, en français, n'est pas un lexème, mais une suite de mots ou syntagme. D'où la nécessité en français de définir l'unité accentuelle en tant que mot phonétique ou unité de souffle.
L'oxytonisation a entraîné quelques changements évolutifs importants dans la structure du système linguistique français dans son ensemble. En particulier, certaines formes nominales et verbales sont devenues isomorphes et n'ont plus pu développer leur référentialité flexionnelle sur les syllabes finales non accentuées (comme la plupart des langues romanes peuvent encore le faire). La détermination du nombre des noms et de la personne des verbes s'est ainsi déplacée devant la forme lexicale. Le pluriel des noms en français est déterminé par la qualité de la voyelle qui forme le noyau syllabique de l'article et des autres déterminants, et non par la base lexicale.
Une situation analogue s'est produite dans la conjugaison du présent du verbe à l'indicatif du singulier, où l'oxytonie a supprimé la possibilité de déterminer la personne du verbe et a uniformisé les trois formes verbales de base. La fonction de détermination de la personne ou du sujet syntaxique a été attribuée aux pronoms personnels non accentués et même inaccentuables, qui ont perdu leur statut pronominal. Cette « détermination » verbale est exercée par ce que D. Creissels appelle indices pronominaux ou personnels.
De même, il semble que l'accentuation finale se trouve à la source de la double négation en français, le non—nen—ne historique devenu très vite inaccentuable et la négation renforcée historique (à partir du XIe siècle: pas, point, mie etc.) reportée aprés la forme verbale et graduellement grammaticalisée en position accentuée. En français actuel, on observe la même réductibilité de la particule négative ne, systématiquement inaccentuée.